Rien n’irait-il plus entre eux ? Voilà que Serge et Julie, ce couple d’amis modèles que vous couviez du regard chaque fois que vous étiez en leur compagnie, ne dorment plus toutes les nuits ensemble. Mais toujours sous le même toit. Un modus vivendi « pour-les-enfants » qui leur permettrait de cohabiter, donc d’éviter le divorce ? Pas du tout. Juste une autre manière de vivre ensemble, « chacun dans sa chambre ».
En France, cette conjugalité new look gagne du terrain. Les raisons ? Un conjoint qui ronfle, des horaires décalés, un bébé qui pleure, l’envie d’avoir son espace à soi… En clair, le besoin d’éviter au maximum ces petits tracas quotidiens qui enveniment lentement les rapports amoureux jusqu’à transformer le lit en champ de bataille. La paix du ménage passerait donc par la désertion de la chambre conjugale ? Aux États-Unis, où le « home-sleeping-alone syndrome » a envahi les foyers, la question ne se pose même plus.
Une étude récemment menée par
Simple effet de mode ou changement réel de la vie conjugale ? « La volonté de faire chambre à part est le corollaire de la montée de l’individualisme dans notre société, explique le sociologue Jean-Claude Kaufmann. Même au sein d’un couple, chacun se vit comme un être autonome, aspirant à son espace de respiration personnel. »
L’équation n’est pas simple. Car il faut à la fois défendre son pré carré, respecter celui de l’autre et construire une histoire commune. Une problématique particulièrement à l’oeuvre dans l’espace confiné de la chambre à coucher. D’autant que celle-ci est devenue un vrai lieu de vie, dans lequel on mange, on bouquine, on téléphone, on regarde la télévision, on joue à l’ordinateur… Et, de préférence, quand on veut. Raison de plus pour en faire son territoire inaliénable
Une posture résolument moderne
« La douce tyrannie domestique qui voulait que l’on respecte les rythmes de chacun au sein d’un foyer appartient désormais au passé. Aujourd’hui, on respecte avant tout son rythme propre, même si cela doit passer par une séparation des corps », analyse de son côté Pascal Dibie, auteur de Ethnologie de la chambre à coucher. Pour cet ethnologue, le phénomène est une conséquence de l’égalité des sexes, qui veut que chacun ait droit à son propre bien-être. Loin du désir de perpétuer des valeurs bourgeoises d’un autre temps, faire chambre à part révélerait au contraire une posture résolument moderne.
La féministe Virginia Woolf ne revendiquait-elle pas, dès 1929, « une chambre à soi » ? Pour certains, l’explication est plus prosaïque. « Si nous n’avions pas pris la décision de dormir séparément, j’aurais fini par tuer mon mari ! », lance Monique, à moitié sérieuse. Après avoir supporté les ronflements d’André pendant plus de quarante ans, la sexagénaire a jeté l’éponge. Le couple fait désormais chambre à part la plupart du temps et ne s’en porte pas plus mal : « cela ne nous empêche pas de partager des moments agréables et je suis bien plus reposée ».
Qu’on se le dise, le ronflement – qui touche environ un tiers de la population, selon l’Institut national du sommeil – est le pire ennemi de la chambre conjugale. Avec les troubles du sommeil, il serait la cause principale du « syndrome de la chambre séparée », selon le National Sleep Foundation américain (3). Mais le lit partagé est l’objet de bien d’autres pommes de discordes : il y a les couche-tôt, les lève-tard, les grinceurs de dents, les enrouleurs de drap, les insomniaques bruyants, les dormeurs au sang chaud et les frileux aux pieds glacés…
« De plus en plus d’agacements conjugaux se font jour car chacun tient à son individualité, avec ses petites manies et ses rythmes particuliers », observe Jean-Claude Kaufmann. Clémence et Florent, 32 et 34 ans, en savent quelque chose. Lui adore regarder la télévision dans la chambre, elle se lève dès potron-minet. « Après moult prises de becs stériles, accentuées par le manque de sommeil, on a décidé que ce serait plus simple de faire chambre à part, raconte Florent. Le bureau fait maintenant office de deuxième chambre et j’y fais régulièrement des incursions nocturnes. »
Donner un nouveau souffle à son couple
Faire chambre à part pour que dure le couple ? C’est le credo de Maryse et Georges Wolinski. Lorsque leur dernier enfant a quitté le foyer parental, le dessinateur et son épouse se sont pour la première fois retrouvés en tête-à-tête après 30 ans de vie commune. « D’abord, nous en parlions en plaisantant, cherchant à mettre en place de nouveaux codes entre nous. Puis, un jour, l’idée s’est imposée. Rien de plus facile, nous disposions de tout l’espace nécessaire », se souvient Maryse Wolinski, auteur de Chambre à part. Depuis, Madame dort dans son boudoir à une extrémité de l’appartement et Monsieur dans sa garçonnière à l’autre extrémité. Comme dormaient jadis les rois et les reines, chacun dans une aile du château.
« Cette expérience a donné un nouveau souffle à notre couple. Notre désir est plus intense, plus imaginatif aussi. Je n’y vois que des avantages ! », confie l’écrivain. Un enthousiasme que ne partage pas totalement le sociologue François de Singly : « Certes, les aléas de la chambre conjugale peuvent présenter un certain inconfort. Mais jusqu’où peut-on défaire ce qui relève du commun, sans mettre en péril l’équilibre du couple ? » Monique et André ont ainsi préféré taire leur décision de faire chambre à part à leurs enfants.
Explication de Monique : « Dans la famille, ça ne se fait pas. J’aurais peur qu’ils croient à un malaise dans le couple. » Moins classique, plus bohème, le couple Wolinski se moque des qu’en-dira-t-on. À la question : « Quel est le bruit que vous préférez ? », le dessinateur répond invariablement : « Celui des pas de ma femme lorsqu’elle vient me rejoindre dans ma chambre » !
(1) www.nahb.org
(2) Lire à ce sujet l’article paru dans le New York Times, le 11 mars 2007
(3) www.sleepfoundation.org
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