samedi 5 avril 2014

"A l'Est de l'Eden" de John Steinbeck

Je viens de recevoir un choc littéraire en lisant "A l'Est de l'Eden" de John Steinbeck.


Il y a bien eu récemment "Moby Dick" de Herman Melville, ou bien encore "Encyclopédie capricieuse du tout et du rien" de Charles Dantzig. "A l'Est de l'Eden" est encore au delà : c'est un pur chef-d'oeuvre ! Le titre de ce roman vous dit probablement quelque chose et pour cause ! James Dean a joué dans l'adaptation cinématographique en 1955. Le livre a été publié en 1952 et si on se place dans le contexte de l'époque, faire une adaptation en moins de 3 ans d'un roman, avec James Dean dans le rôle titre, cela signifie que le livre en vaut le coup !

D'autres auront peut-être noté que le titre est aussi une allusion au verset biblique relatant la fuite de Caïn, après le meurtre d'Abel. Cet épisode est un élément clé et surtout un fil conducteur tout au long du roman. S'agit-il vraiment d'un roman ? Pas tout à fait ! En effet, l'auteur y décrit une grande fresque familiale en suivant de génération en génération les familles Trask et Hamilton à Salinas, en Californie. Il s'agit donc de... sa famille !

Oeuvre à connotation autobiographique ou roman, qu'importe ! À l'Est d'Eden est surtout l'occasion pour John Steinbeck de développer de nombreuses réflexions philosophiques sur des thèmes variés. Il est bien sûr question de bien et de mal (en référence à Abel et Caïn), mais aussi d'individualisme, des préjugés et de reconnaissance sociale. J'ai complètement été happé ! Toute éloge aussi dithyrambique soit-elle ne serait pas suffisante pour traduire l'effet irréversible qu'a eu ce livre sur moi. Vous ne pouvez pas mourir sans avoir lu ce livre !

NB : Pour entre autres cette œuvre magistrale, John Steinbeck a reçu le prix Nobel de littérature en 1962.

Extraits choisis

Lorsqu’un enfant, pour la première fois, voit des adultes tels qu’ils sont, lorsque pour la première fois l’idée pénètre dans sa tête que les adultes n’ont pas une intelligence divine, que leurs jugements ne sont pas toujours justes, leurs idées bonnes, leurs phrases corrects, son monde s‘écroule et laisse place à un chaos terrifiant.

Les humains peuvent engendrer des monstres. Certains sont reconnaissables : ils sont mal formés (…) Les monstres ne sont que des variations à un degré plus ou moins grand des normes usuelles. Et, tout comme un enfant peut naître manchot, un autre peut naître sans bonté et sans conscience.

Quelle liberté connaîtraient l’homme et la femme s’ils n’étaient pas constamment trahis, trompés, envoûtés, torturés, par leur sexualité ! Mais alors l’être ne serait plus humain. Il serait monstrueux.

Lorsque notre nourriture, nos vêtements, nos toits ne seront plus que le fruit exclusif de la production standardisée, ce sera le tour de notre pensée. Toute idée non conforme au gabarit devra être éliminée.

Notre espèce est la seule créatrice et elle ne dispose que d’une seule faculté créatrice : l’esprit individuel de l’homme. Deux hommes n’ont jamais rien créé. Il n’existe pas de collaboration efficace en musique, en poésie, en mathématiques, een philosophie. C’est seulement après qu’a lieu le miracle de la création que le groupe peut l’exploiter. Le groupe n’invente jamais rien. Le bien le plus précieux est le cerveau isolé de l’homme.

Il y a des appétits de bonheur, disait Samuel, qu’un paradis entier ne satisferait pas.

L’esprit libre et curieux de l’homme est ce qui a le plus de prix au monde. Et voici pour quoi je me battrai : la liberté d’esprit de prendre quelque direction qui lui plaise. Et voici contre quoi je me battrai : toute idée, religion ou gouvernement qui limite ou détruit la notion d’individualité.

Il n’y a de questions désagréables que celles qui sont teintées de condescendance.

L’église et la maison close arrivèrent dans l’ouest simultanément. Et chacune aurait été horrifiée de savoir qu’elle n’était qu’une facette d’un même besoin. Car, en réalité, elles poursuivaient le même but : les chants, les rites, la poésie de l’église offraient à l’homme l’oubli de sa tristesse ; le bordel, lui, offrait d’autres oublis.

Lorsqu’une affaire est délicate et qu’elle présente quelque danger, il arrive que le résultat soit gâché par la hâte. Il y a tant d’hommes pressés qui trébuchent ; Si une tâche difficile et subtile doit être accomplie, il faut d’abord en déterminer la fin. Puis, une fois acceptée comme le but désiré, il faut l’oublier complètement et se concentrer uniquement sur les moyens. Grâce à cette méthode, le faux pas dicté par la hâte ou la peur est évité.

Il est agréable pour l’homme médiocre de savoir que la grandeur est sans doute l’état le plus solitaire du monde.

Si l’histoire ne concerne pas l’auditeur, il s’en désintéresse. Je crois pouvoir énoncer cette règle : une histoire, si elle veut être grande et se perpétuer, doit toucher chacun de nous.

Samuel savait chevaucher un livre et garder son équilibre au milieu des idées, comme un homme qui descend un torrent tumultueux en canoë. Mais Tom creusait entre les idées, faisait son tunnel comme une taupe et ressortait à la surface, le visage et les mains tâchés de lecture.

Il est trop facile de s’abandonner à la paresse, à la faiblesse, de se jeter aux pieds du dieu, de s’y cacher le visage en disant : « Je n’y puis rien, ma route est tracée ».

Il y a plus de beauté dans la vérité, même si c’est une horrible vérité.

Il faut bien que quelqu’un torde le cou au destin. Si de temps à autre, quelqu’un ne lui faisait pas un pied de nez, l’humanité vivrait encore dans les branches des arbres.

L’homme qui cultive vraiment l’art de la conversation est celui qui décide ses interlocuteurs à parler.

La notion de seconde prend de plus en plus d’importance dans les activités humaines et bientôt ce sera un dixième de seconde, puis un centième, jusqu’au jour – je ne crois pas qu’il vienne – où l’homme fatigué dira : « Et puis, après tout, qu’est-ce qu’une heure dans la vie d’un homme ? »

Tout n’existe que pour un jour, ce qui se souvient et ce dont on se souvient. Observe que tout chose ne prend place que par changement, et accoutume-toi à considérer que la nature n’aime rien tant que de changer ce qui est, pour le remplacer par ce qui lui ressemble. Car tout ce qui existe est la semence de ce qui sera .

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