On oppose souvent maths et littérature. Mais notre capacité à compter et à manipuler les nombres dépend-t-elle de notre langage ? Peut-il y avoir des mathématiques sans langage ?
En 2004, deux études parues dans Science avaient déjà lancé de sérieuses bases sur le sujet en étudiant différents tribus amazoniennes. La première s'était penchée sur le cas des Pirahã qui n’ont pas de mots au-delà de 2 si ce n’est pour dire « beaucoup ». Cette tribu a du mal à manier des quantités supérieures à 3 et l'étude en avait conclu que le langage conditionne les capacités cognitives, au moins en arithmétique. La deuxième étude réalisée par des français s'était intéressée au cas des Mundurucus vivant dans l'Etat de Para, au Brésil. Cette tribu amazonienne ne dispose que de quelques termes pour désigner les nombres. Leur vocabulaire numérique va de 1 à 4 ou 5, selon les individus. Par exemple, "ebapug" désigne 2 + 1 et "ebadipdip", 2 + 1 + 1. Même si cette tribu ne peut pas faire des calculs avec une valeur exacte au-delà de 5, lorsqu'on les soumet à des tests d’approximation, ces Amazoniens obtiennent des résultats comparables à des Français. Il semble donc exister une capacité arithmétique indépendante du langage.
D'autres études sur de jeunes enfants et des animaux montrent qu'ils sont capables d'apprécier des quantités sans disposer des symboles pour les manipuler. Ces observations appuient donc les résultats de la dernière étude mais montrent que pour le calcul de valeurs exactes requiert un système symbolique adéquat connue sous le nom de "cristallisation des nombres". Lorsqu'on est jeune, on compte avec ses doigts. Vers l'âge de 3 ans, et contrairement à ces tribus, les enfants occidentaux prennent alors conscience que chaque mot désignant un nombre fait référence à une quantité finie. Le lexique "numérique est donc alors différente et la manipulation des nombres qui en découlent également.
Cependant, leur incapacité à calculer n'est pas uniquement liée à une déficience linguistique, mais plutôt un trait culturel. Ces Indiens vivent dans une société où les grands nombres et les valeurs exactes ne sont pas nécessaires. Ainsi, pour éviter ce biais, une nouvelle étude publiée la semaine dernière s'est intéressée aux personnes sourdes et muettes au Nicaragua. Les chercheurs ont fait passer des tests à 4 sourds-muets qui n’ont pas appris la langue des signes mais qui ont développé leur propre gestuelle pour communiquer avec leur entourage. Ils travaillent, gagnent leur vie, participent à une économie basée sur la valeur exacte des choses, non sur des approximations. Ils ont comparé leurs performances avec celles de deux sourds -muets connaissant la langue des signes (qui ont donc appris la suite numérique) et avec 4 nicaraguayens illettrés. Les sourds-muets ayant appris la langue des signes et les illettrés ont obtenu de meilleurs résultats que les sourds-muets autodidactes. Ces derniers ont une compréhension incomplète de la valeur numérique. Par exemple, lorsque ces sourds-muets manipulent la monnaie de leur pays, ils sont capables de dire qu’un billet de 20 est plus grand qu’un billet de 10 ou que 9 billets de 10 font moins qu’un billet de 100. Cependant cet apprentissage serait en grande partie basé sur les couleurs et les formes différentes des billets.
Ceci montre bien que notre capacité à compter et à manipuler les nombres dépend (en partie) de notre langage. Ces études sont particulièrement intéressante pour comprendre la place des mots dans l’arithmétique et aident ainsi les pédagogues à mieux enseigner les mathématiques aux enfants. Avis aux maîtresses ! ;-)
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