lundi 13 août 2007

Tchad : la tragédie des femmes du Darfour

Article lu dans la presse ce week-end

Utilisés comme une arme de guerre, les viols ont déjà fait plusieurs milliers de victimes parmi les réfugiées au Tchad.

La jeune fille raconte son viol d'une voix timide, le visage enveloppé dans un tarha, le voile islamique des femmes du Darfour. « C'était il y a un an, juste avant le ramadan. Nous étions parties chercher de l'eau avec ma cousine à l'extérieur du village. Cinq hommes en djellaba blanche sont arrivés à dos de chameaux. Ils nous ont menacées avec leurs fusils. (...) Trois d'entre eux ont violé ma cousine à tour de rôle. Les deux autres me battaient à coups de cravache en me traitant de sale noire. (...) Ma cousine a été égorgée et j'ai été abandonnée nue après avoir été violée. »

L'adolescente est formelle : ses agresseurs étaient des Djandjawid, ces miliciens arabes armés par le Soudan qui opèrent dans le Darfour pour terroriser les populations dont sont issus les groupes rebelles qui se battent contre Khartoum depuis 2003. Utilisés comme une arme de guerre, les viols ont déjà fait plusieurs milliers de victimes. « Au moins 15 000, peut-être le triple », affirme un membre de la Cour pénale internationale (CPI) qui enquête dans l'est du Tchad, une région frontalière du Soudan où sont réfugiés 230 000 habitants du Darfour. Près de 80 % d'entre eux sont des femmes et des enfants. Beaucoup d'hommes sont morts, ou restés au village pour protéger le bétail.

Esclaves sexuels

Khadija élève seule ses deux filles dans le camp de Treguine situé à trois heures de piste d'Abéché, la capitale administrative du Tchad oriental où sont basées la plupart des organisations non gouvernementales (ONG) opérant dans la zone. Logées dans une hutte en terre poussiéreuse recouverte d'une bâche en plastique, les trois femmes survivent grâce à l'aide internationale et ne sortent jamais du camp. « C'est trop dangereux, dit Khadija, beaucoup de filles sont violées lorsqu'elles partent ramasser du bois. » Militaires et rebelles tchadiens, qui pullulent dans la région, ne sont pas les seuls prédateurs.

« Le stress et la frustration génèrent aussi des violences sexuelles parmi les hommes réfugiés », affirme la responsable du programme psychosocial d'une ONG européenne. Les adolescentes sont les plus exposées. Les Toroboro, les rebelles soudanais qui écument les camps à la recherche d'enfants à recruter comme combattants, s'en servent parfois d'esclaves sexuelles. Les risques de propagation du VIH, le virus du sida, qui en découlent, sont d'autant plus grands que toutes les gamines ont subi, entre 8 et 12 ans, une infibulation, la forme la plus mutilante de l'excision : ablation du clitoris et des grandes et petites lèvres avec suture du sexe.

Pour protéger leurs filles, les parents préfèrent les marier très jeunes. Celles qui résistent à ces mariages forcés peuvent être tuées. Dans cette société ultraconservatrice, où « une femme équivaut à la moitié d'un homme », un refus est vécu comme une humiliation par toute la famille.

Déshonneur familial

En mai dernier, le directeur de la Voix du Ouaddaï, une radio communautaire fondée par une ONG américaine, a assisté à une tentative de « crime d'honneur » : « Une adolescente courait en hurlant poursuivie par son frère armé d'un couteau. Le garçon a chuté et sa soeur s'est enfuie. D'autres hommes l'ont rattrapée, jetée à terre, traînée par les cheveux et rouée de coups jusqu'au sang. » L'adolescente, qui avait refusé le mariage arrangé par sa famille, a été retrouvée - grièvement blessée mais vivante - par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui l'a évacuée vers un autre camp.

Sa mère a été conviée à une réunion de sensibilisation organisée par un « comité de femmes réfugiées ». Le HCR en a créé dans chaque camp pour permettre aux femmes d'exprimer librement leurs souffrances et leurs besoins. « La tradition veut qu'elles soient soumises à leur mari et elles n'ont souvent aucun recours en cas d'abus », explique une des coordinatrices de ce programme. « Quant au viol, poursuit-elle, il est vécu comme un déshonneur familial et social. Les victimes préfèrent donc se taire, car elles risquent d'être répudiées par leur mari ou de ne jamais pouvoir se marier. »

Les femmes qui osent rompre le silence sont souvent celles qui se sont trouvées enceintes après leur viol. Elles le font par détresse ou pour éviter que leur nourrisson soit discrètement tué après l'accouchement.

Ultraminoritaires dans les camps, les hommes n'en restent pas moins omnipotents dans les conseils de réfugiés qui contrôlent étroitement les activités des ONG. Ils font souvent barrage aux programmes de soutien aux femmes, qu'ils perçoivent comme une forme de néocolonialisme occidental.

« J'ai été expulsée manu militari d'un camp, au motif que je voulais recoloniser la région », raconte une Européenne travaillant pour une agence des Nations unies. Résultat : les organisations travaillant sur la promotion des femmes, par l'éducation ou l'octroi de microcrédits, n'envoient sur le terrain que des personnels originaires de pays africains.

L'excision reste la norme

La lutte contre les discriminations sexistes génère aussi des crispations dans les communautés tchadiennes qui bénéficient également de l'aide humanitaire. Le sort des femmes n'y est guère plus enviable qu'au Darfour. L'excision reste la norme - en dépit d'une loi récente la criminalisant - et les filles passent plus de temps à travailler qu'à étudier. L'école du village d'Hamleyouna ne compte qu'une seule élève. « Les parents n'inscrivent que les garçons, regrette l'instituteur, ils disent que la place d'une fille est aux champs et dans le foyer. »

Beaucoup sont mariées à l'adolescence, avec une dot qui se calcule en têtes de bétail, et elles ne découvrent le visage de leur époux que le jour de leur noce. Quant à la cérémonie, durant laquelle le marié brandit un fouet, elle donne le ton d'une vie conjugale qui se déroulera en général dans un foyer polygame. À l'est du Tchad, la richesse d'un homme se mesure au nombre de femmes qu'il épouse, et à la descendance qu'il engendre. Ibrahim Mahamat, un commerçant d'Abéché, voudrait « quatre femmes ». Il a en déjà deux. Elles lui ont donné « trois enfants et cinq filles ».

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