mardi 12 février 2013

Encyclopédie capricieuse du tout et du rien

S'il y a un livre que j'aurai aimé avoir écrit dans ma vie, je choisirai "Encyclopédie capricieuse du tout et du rien" de Charles Dantzig. Ce livre est composé de listes, regroupées par thèmes (les lieux, les gens, les corps, le sexe, les arts, les mots, l'histoire...). Elles forment l’autoportrait de l’auteur qui semble avoir tout vu, tout lu et tout retenu ! Charles Dantzig a mis plus de 10 ans à écrire ce recueil. Un véritable exploit d’aligner des milliers de pense-bêtes et de réussir à les mêler artistiquement les uns aux autres. Un chef d’œuvre !


Il m'est difficile de recopier toutes les listes mais il y en a certaines qui m'ont fait bien rire comme la "Liste de ce qu’on fait ou de ce qu’on ne fait pas en province" ou bien encore la "Liste de ce qu’on n’a jamais vu". Pour le plaisir, je vous recopie juste cette dernière !

Liste de ce qu’on n’a jamais vu
Un bébé pigeon.
Une japonaise enceinte.
Un italien courir.
Un théâtre français sans toux.
Un picador non sifflé dans une corrida.
Un anglais articulant.
Un parisien aimable.
Un enfant misogyne.
Un mauvais bar à tapas en Espagne.
Un bon ailleurs.
Un roman à un seul personnage.
Un menu de restaurant chinois sérieusement traduit.
Le bras atrophié de Guillaume II.
D’acteurs dire « Je t’aime » dans un film porno.
Un jeton tombé dans un casino.

Extraits choisis ça et là dans les listes

Quand une chose parait en trop dans un livre, un tableau, une musique, c’est parfois qu’il n’y en pas assez. Nos grands-parents étaient immobiles. Nos parents frémissaient. Nous bougeons. Notre façon de voyager révèle une avidité et une hâte qui sont notre temps même. Eh bien, c’est mieux que la guerre.

C’est idéal, une colonie de gens intelligents, intransigeants sur les détails et indulgents sur le général, ayant une conversation spirituelle, faisant des ragots en s’en fichant, et c’est en même temps impossible. Cela se transformerait vite en une cage à volaille haineuse pépiant de jalousie, de scènes, de raisons.

Un italien ne se sentirait pas italien s’il ne portait pas des lunettes de soleil plantées dans ses cheveux gominés comme un arceau de croquet et n’exhibait les marques de ses vêtements, par jeu autant que par coquetterie. S’il se promène aussi souvent mal rasé et trois boutons de chemise ouverts sur une poitrine velue, c’est pour exhiber une virilité dont le matriarcat les prive. Cela dure depuis Rome, où l’on raillait César parce qu’il s’épilait. Le poil est sacré en Italie.

Des américains j’oublie toujours, et cela me frappe dès que j’arrive dans leur pays, que dis-je ? dès l’avion, les jeans mal coupés. Ou encore leur goût de la musculation, dont j’ignore si c’est la manifestation pratique du goût de la force, ou encore les boissons présentées dans des emballages deux fois plus gros qu’ailleurs, ou les lignes électriques qui ne sont pas enterrées et encombrent les côtés du ciel, ou que c’est le pays des blonds, ou leur obsession de la météo, affichée en permanence sur les écrans de NY1 et imprimée sur la moitié de la dernière page du New York Times, avec température, taux d’humidité et vitesse du vent. Au fond ce qu’on oublie des pays, c’est le banal qu’on veut croire caractéristique. N’est-ce pas ce qu’on nomme sociologie ?

Un ami que j’ai invité à dîner annule la veille par SMS : on l’a invité au ski, l’excuserai-je ? Je réponds : « Sois sage avec les monitrices. » Aussitôt, lui : « T. extra. Merci ! » Mais non, tu as eu bien raison. Tout remplacement d’une obligation par un plaisir doit être encouragé. Sans même dire qu’il ne m’avait pas menti, ce que je trouve amical.

La passion existe en dehors de son objet : c’est une barrique qu’on remplit, puis, quand elle est pleine, on passe à une autre. Il y a des passionnés qui, une fois tarie la passion d’être président de la chambre de commerce, passent à la passion des très jeunes filles, etc.

L’amour, c’est vif les trois premiers mois, quand on se fait coq, puis ça devient pantoufle. A cette pantoufle pour se rendre capable de la supporter on continue à donner le nom d’amour.

Je suis toujours amoureux de toute nouvelle personne dont je fais la connaissance. L’élan me semble plus important que la réalisation, et c’est la différence entre l’amour et le mariage, et la raison de la popularité finalement supérieure du second : il est statique. Or, pour moi, la seule chose qui peut égayer nos vies, c’est le changement, le mouvement, la fuite, la danse, n’importe quelle marche de coté, pas d’être une pendule de maison de campagne.

On a un idéal, puis on l’appelle un type, et enfin on se met en couple avec quelqu’un de tout à fait différent. Ce sont des personnes que l’on doit aimer. Les célibataires sont ceux qui ne l’ont pas admis.

Snobisme est souvent le nom qu’on donne aux plaisirs incompris.

Si on dit du mal de ses amis, c’est qu’on les connait. C’est la chance de nos ennemis : la plupart nous sont inconnus et, aussi bien, avec la plus grande naïveté, nous en disons du bien.

Mon sentiment le plus profond que j’éprouve depuis l’enfance, et sans qu’il soit malheureux, est celui de la solitude. Rien ne m’exalte plus, quand j’ai passé du temps avec des gens, que de me retrouver seul. Et je me dis : « Enfin seul ! » Je respire. Je m’ouvre au monde. Un seul être près de nous, et c’est un écran devant ce monde. La solitude n’est pas l’isolement.

On peut plus facilement trouver les raisons de l’échec que celles du succès. A ceci près que ce sont souvent les mêmes.

Les hommes se croient sérieux et la plupart du temps ils ne sont qu’ennuyeux. Ils rendent le sport ennuyeux, à force de le prendre pour autre chose qu’un divertissement. Ils rendent le travail ennuyeux, à force d’y voir autre chose qu’un gagne-pain. Ils rendent toute conversation ennuyeuse, à force d’y parler de choses inutiles.

Quand vous voyez un papillon, le suivez-vous ?

PORTRAITS ANGLAIS : Un portrait anglais, c’est : « Moi, mon cheval et ma femme », laquelle ressemble d’ailleurs au cheval. Par rapport aux portraits français de même époque (Louis XV et Louis XVI), où les femmes même dans les parcs portent des souliers en satin rose, celles des tableaux anglais ont des souliers sordides. Aristocrates ou pas, les unes sont des femmes de cour, les autres, de campagne. La France est un pays de ville, l’Angleterre, de prés. Les portraitistes anglais, Raebrun, Lawrence, sont crémeux.

Je trouve qu’on devrait recruter davantage de gens sans expérience : cela produit de l’imagination, de l’audace, de la fraîcheur, quand l’expérience n’est souvent que banalité et paralysie, n’ayant pour elle que l’adresse, cette pauvre chose.

L’expérience ne m’apprend rien, et ça m’amuse. Combien de fois, pour rincer ma baignoire, me suis-je rincé la tête parce que j’avais oublié de déplacer le bouton du tournesol de douche (ah, je ne peux pas tout savoir, vous comprenez ! j’appelle ça « tournesol de douche » par ignorance du nom technique, je me suis assez embêté à chercher le nom suivant, ridicule d’ailleurs, oui, là, après la parenthèse) vers la douchette ! Combien de fois ai-je perdu mon jeton de vestiaire de musée, alors même que, me connaissant, je l’avais rangé à tel endroit précis, excellent pour le retrouver ! Combien de fois … ? Je crois que mon esprit, détestant les contraintes, se fait de la place pour ce qui lui plait. Ma distraction, si vous préférez. L’expérience ne m’apprend rien, et ça m’enchante.

Et enfin, ces deux extraits qui résument très bien l'idée du livre.

La vie est un conte de faits.

Ce qu’on écrit sur soi est le meilleur. Cela n’a précisément rien d’utile.

2 commentaires:

Marie a dit…

Ca a l'air genial j'ai envie de lire ca!!

Marie a dit…

Ben je viens de l'acheter tiens!