Parmi mes autres lectures du début de l'année dont je n'ai pas pris le temps de faire un résumé, il y a l'exceptionnel "Gomorra" de Roberto Saviano.
Certains d'entre vous ont peut-être vu le film (http://benolife.blogspot.com/2008/08/week-end_18.html). Et bien lisez le livre maintenant ! Le film était saississant, le livre est stupéfiant (sans jeu de mots !). Contrairement au film qui scénarisait le milieu de la Camorra en adaptant l'investigation de Saviano dans le milieu anti-mafieux, le livre propose une enquête sur la corruption à Naples et en Campanie. L'enquête se découpe en différents chapitres relatifs chacun à un domaine (drogue, vêtement, armes, femmes, etc...). C'est tout simplement passionnant ! Et comme écrire aujourd’hui sur la mafia en Italie signifie sa mise à mort ( l'auteur est aujourd’hui d’une protection policière permanente), je ne peux que souligner l'importance de ce livre courageux.
Extraits choisis :
"En avril 2005, 4 opérations déclenchées presque par hasard, à peu de distance l'une de l'autre, ont permis (...) de saisir 24 000 jeans destinés au marché français, 51 000 objets provenant du Bangladesh et portant le label Made in Italy, environ 450 000 poupées, Barbie ou Spiderman, plus de 46 000 jouets en plastique, pour une valeur totale de près de 36 millions d'euros. En une poignée d'heures, une miette d'économie qui passait le port de Naples."
"Presque tous les parrains ont un surnom, unique, qui les identifie. Le surnom est au parrain ce que les stigmates sont au saint : un signe d'appartenance, en l'occurence au système."
"Aucun stupéfiant n'est introduit en Europe sans passer d'abord par Secondigliano - NB : ville dans la banlieue de Naples -. Si la drogue était uniquement destinée aux habitants de Naples et de la Campanie, les statistiques seraient délirantes; Dans chaque famille napolitaine, il devrait y avoir deux cocaïnomanes et un héroïnomane, sans parler du haschisch et le marijuana."
" les clans de Secondigliano ont un avantage sur les autres, une précieuse longueur d'avance : les Visiteurs, les héroïnomanes. (...) Les Visiteurs servent de cobayes, des cobayes humains, on teste les coupes sur eux : on peut savoir si une coupe est ratée, quelles réactions elle entraîne, jusqu'où on peut aller pour allonger la poudre. Quand les "coupeurs" ont besoin de beaucup de cobayes, ils baissent les prix. De vingt euros la dose, ils descendent à dix. Le bruit se répand et les héroïnomanes viennent (...). Ils se traînent jusqu'à un bus, en descendent et prennent un train, voyagent de nuit, font du stop ou même des kilomètres à pied. L'héroïne la moins chère du continent mérite bien quelques efforts. Les "coupeurs" des clans rassemblent les Visiteurs, leur offrent une dose puis attendent. (...) Ils exultent, ravis queles cobayes ne soient pas morts et qu'ils aient même apprécié le produit."
"A Secondigliano, les jeunes, les adolescents et les enfants savent parfaitement comment on meurt, comment il vaut mieux mourir. Je m'apprêtais à quitter le lieu du meurtre quand j'ai entendu un gamin dire à son voisin, d'un ton sérieux :
- Je ne veux pas mourir comme la dame. Une balle dans la tête, boum, et c'est fini.
- Mais ils lui ont tiré dans le visage, c'est moche, dans le visage !
- Non, c'est aps moche, de toute façon ça dure une seconde. Devant ou derrière, c'est toujours la tête !
J'ai pris part à la discussion, essayant de donner mon avis et de poser des questions. Et j'ai suggéré aux deux adolescents : "Et une balle dans la poitrine, c'est pas mieux ? Une balle en plein coeur et c'est tout..." Mais le gamin connassait mieux que moi la dynamique de la douleur et s'est mis à détailler, avec la compétence d'un expert, la douleur du choc, quand on prend une balle dans la poitirine :
- Non dans la poitrine ça fait mal, ça fait super mal et on met dix minutes à crever. Les poumons doivent se remplis de sang et la balle est comme une aiguille en feu qui entre et tourne à l'intérieur. Et ça fait aussi mal aux bras et aux jambes, c'est comme une morsure de serpent qui te lâche pas. La tête c'est mieux. Tu fais pas sous toi, tu te chies pas dessus, tu agonises pas par terre pendant des plombes..."
"-Robbè c'est quoi un homme sans diplôme et sans pistolet ?
- Un con avec un pistolet...
- Exact; c'est quoi un homme avec un diplôme et sans pistolet ?
- Un con avec un diplôme...
- Exact. Et c'est quoi un homme avec un diplôme et un pistolet ?
- Un homme, papa !
- C'est bien Robertino !"
" Je me disais que placer la parole au centre d'une lutte contre les mécanismes du pouvoir était une chose incroyablement nouvelle et puissante. Des mots contre des bétonneuses et des fusils. Mais pas métaphoriquement : pour de bon. Des mots qui dénoncent, qui témoignent, qui ne reculent pas. des mots parés de leur seule armure : être dits. Une parole qui est sentinelle, témoin : vraie à condition de toujours laisser sa marque. une parole orientée de telle sorte qu'on ne puisse la faire taire qu'en tuant."
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