vendredi 23 avril 2010

"La fonction du balai" de David Foster Wallace


L'auteur

David Foster Wallace (1962-2008) est l'un des plus grands écrivains américains de sa génération, dont le thème de prédilection est l'évocation d'un monde malade, violent et désorienté. Ses textes sont connus pour leur ironie, leur humour et surtout par leur volonté de rompre la linéarité narrative. L'écrivain est un virtuose de la narration, jouant sur plusieurs niveaux de langage et de lecture. Son écriture/style est qualifié(e) de "labyrinthique".

Pourquoi m'être intéressé à cet auteur ? Et bien, le paradoxe français veut que jusqu'à ce jour, aucun de ses romans n'a été traduit en français – à l’exception des courts récits comme Ce truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas et Brefs entretiens avec des hommes hideux. Lorsque David Foster Wallace s'est suicidé il y a presque 2 ans, peu de français connaissaient son oeuvre et le culte que lui voue la jeune génération d'auteurs anglo-saxons. Grâce soit rendue aux éditions Au diable Vauvert qui réparent cette regrettable bévue.

En effet, The Broom of the System (traduit sous le nom "La Fonction du balai") écrit en 1987 vient de sortir en France !! Une belle opportunité pour les non-anglophones de prendre la mesure du talent de cet écrivain culte dont ce livre est vénéré aux USA depuis 20 ans ! J'attends avec impatience la traduction d'Infinite Jest, considéré comme un chef-d'œuvre de la littérature de langue anglaise. The Pale King, dernier roman de l'auteur, sera publié à titre posthume aux USA cette année.

L'histoire

L'histoire se déroule en 1990 à East Corinth, une banlieue de Cleveland - dont la forme présente la particularité de copier la silhouette de Jayne Mansfield (couverture du livre) - dans laquelle vit Lenore Beadsman. Lenore est standardiste dans une maison d’édition, un travail abrutissant auquel viennent s’ajouter quelques soucis pour le moins perturbants. Entre autres : son arrière-grand-mère a disparu de sa maison de retraite, accompagnée de 25 autres pensionnaires ; son petit ami et patron, l’éditeur Rick Vigorous, est un jaloux pathologique et complexé ; Vlad l’Empaleur, sa perruche, devient la star d’une chaine de télévision chrétienne fondamentaliste lorsqu’elle se met à réciter des extraits de la Bible ; etc etc... Et si tout avait un sens ?!

Mon avis

Style labyrinthique ? Je confirme ! Lorsque l'on entame le roman, on est assez perplexe. La narration est en apparence décousue et mêle différents registres de langage et divers procédés narratifs (comptes rendus issus de séances de thérapie, dialogues d’émissions télévisées, monologues introspectifs,...). L'auteur casse bien les codes de la narration. Et nous, devant tant d'incohérence, on pourrait se frustrer et arrêter notre lecture mais pourtant, le charme opère. On sait que l'on a affaire avec l'un des auteurs les plus innovants de notre époque : il faut se concentrer !

Dans ce labyrinthe de faits et de mots, on essaie de reconstituer le puzzle de la vie de Lenore Beadsman. Et par cette reconstitution qui frôle parfois l'absurde et le non-sens, l'auteur arrive à dénoncer des sombres réalités qui sont d’actualité. Quand on sait que le roman est vieux de 20 ans, cela frôle l'anticipation ou simplement montre la lucidité de l'auteur. David Foster Wallace a de l'humour - comment ne pas rire de ces séances de thérapie où le patient est attaché sur un siège éjectable monté sur rails ! - mais est surtout cruel. Il n'épargne rien et porte un regard acéré sur la société de son pays vendu au consumérisme effréné (Consommons toujours plus) et obsédé par l’hygiénisme et le contrôle de soi.

Vous pourriez être déçu(e) par la fin ouverte mais en fait, ce n'en est pas vraiment une ! Un peu comme le film "Mulholland Drive" de David Lynch, ce livre mérite surtout d'être relu pour toutes les interprétations qu’on peut en tirer !

Extrait choisi

« Elle t’a fait le truc du balai ? Non ? Qu’est-ce qu’elle fait maintenant ? Non. Quand j’étais petit – je devais avoir huit ou dix ans, je ne sais plus -, elle me faisait asseoir dans la cuisine, elle attrapait un balai, elle se mettait à balayer le sol comme une furie et elle me demandait quelle partie était pour moi la plus élémentaire, la plus fondamentale, la brosse ou le manche. La brosse ou le manche. Et j’étais là, oppressé et hésitant, et elle passait le balai de plus en plus fort, ça me rendait nerveux et finalement je disais que je pensais que c’était la brosse, parce que si tu as envie tu peux balayer sans le manche, juste en tenant la brosse, et alors elle me flanquait un coup qui m’éjectait de ma chaise et elle me hurlait dans l’oreille des trucs comme, « Haha, c’est parce que tu veux te servir du balai pour balayer ! C’est à cause de la fonction que tu veux donner au balai ! »

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